mercredi 3 septembre 2014

Salut, vieille !

(JR à Cuba)
Titre inspiré par ma lecture du moment "Comment faire l'amour à un Nègre sans se fatiguer" de Danny Laferrière. C'est ainsi que les personnages - les Nègres, j'ai de la peine à utiliser ce terme, j'avoue, mais comme il n'en emploie pas d'autres plus politiquement corrects, va pour Nègre - donc c'est ainsi qu'ils se saluent "Salut, vieux!" Et déjà je m'égare.
(Philippe Geluck)
Ce matin je me suis réveillée avec un an de plus au compteur, comme tous les 3 septembre, ce n'est pas une surprise. Sauf que je passe un cap et, comme c'est le cas chaque fois qu'un cap est passé, il faut avoir le bon état d'esprit. Je connais des gens qui ont pris un méchant coup de vieux à 25 ans, ou à 30, d'autres qui ne se sont pas remis d'avoir ouvert le livre des 40 rugissantes. Il y en a aussi qui ont majestueusement fêté leur demi-siècle, qui se sont réjouis d'avoir 60 ans, il n'y a pas de règle. J'ai même une grande-tante qui a troqué la pendule que la ville lui offrait contre un vol en avion. Moi, je n'organise pas de fête, j'avais même envie de me retirer seule pour arroser ce passage seule, en égoïste pas déprimée pour un sou. Plus que jamais, je suis reconnaissante à la vie, d’être EN VIE. J'en reprendrais bien une décennie, voire deux ou trois, si entente. J'ai frôlé le pire, on vient de me dire que j'étais réparée, je ne vais pas me plaindre.

(JR en Colombie)
N'empêche que si vraiment je peux me mettre à ajouter les ans sans ne plus me soucier de ma santé, à part de la conserver, je vais devenir gâteuse et ça aussi ça m'inquiète. Tellement que j'ai repensé à une histoire que j'utilisais quand je donnais des formations sur l'interculturalité.

(Philippe Geluck)
Choisir son pays, un conte

Une auberge sur une île paradisiaque tenue par un couple accueillant. Leurs hôtes des quatre coins du monde y retournent année après année et n’hésitent pas à y envoyer leurs amis. Ce couple a cinq filles qui enchantent les hôtes par leurs danses et leurs chants. A la fin de sa scolarité, l’aînée, Satu, aide ses parents à l’auberge. Un jeune étranger tombe amoureux d’elle, et elle de lui. L’année suivante, il retourne à l’auberge et demande sa main. Ils s'en vont tous les deux dans le pays de l’homme. La deuxième fille prend la place de sa sœur à l’auberge. Un hôte étranger s’éprend d’elle, ils se marient et elle le suit. La même histoire se reproduit pour la troisième, la quatrième et la cinquième fille. Le couple se retrouve tout seul à gérer l’auberge, ayant leurs filles éparpillées tout autour du globe.

Bien des années plus tard alors que les filles sont non seulement devenues mères, mais que leurs enfants ont atteint l’âge adulte, l’aubergiste meurt. Les filles, leurs époux et leurs enfants, tous éplorés, retournent auprès de la mère. Après les funérailles, chaque famille lui propose de l’accueillir. Qui doit-elle choisir ? Elle décide de demander aux aînés de ses petits-enfants de lui parler de leur pays. La fille de Satu explique : « Dans mon pays, les droits de chaque individu sont respectés. On accepte que chacun soit différent, que chacun ait ses propres idées et qu’il puisse les exprimer. Dans mon pays, on peut choisir ses leaders librement.» Et qu’en est-il de l’harmonie familiale ? « Nous pensons que nous n’avons pas à reproduire les schémas familiaux dépassés. Nos vieux ne s’attendent pas à être pris en charge par les plus jeunes, tout comme les enfants doivent apprendre à devenir autonomes. Bien sûr, nous serions très heureux de t’accueillir, Grand-mère. »

Le fils de la deuxième fille s’exprime : « Chez nous, il n’y a pas de riches, pas de pauvres, pas de privilèges spéciaux non plus. Nos leaders sont des gens ordinaires qui peuvent se promener dans la rue. Dans les écoles, étudiants et professeurs sont traités de la même manière. » Et la discipline ? Et le respect des parents et de la hiérarchie ? « Bien sûr nous avons aussi des maîtres et des serviteurs, des chefs et des subordonnés. Quant à nos parents, depuis notre plus jeune âge ils sont ouverts à la discussion. » C’était au tour de la fille de la troisième fille de parler de son pays : « Viens chez nous, Grand-mère, tu verras, nous respectons chaque personne, amie ou étrangère. Si quelqu’un a besoin d’aide et qu’il ne peut se débrouiller, le pays va l’aider. » Est-ce que cela ne rend pas les gens paresseux ? 


L’avant-dernier petit-enfant a alors pris la parole : « Chez nous, nous pensons que l’ordre et la discipline sont importants. Les règles sont claires. » Et ceux qui pensent différemment ? « Ils sont une menace pour la société. » Mais ta mère est différente, elle est venue d’ailleurs… « Elle a dû apprendre et s’adapter, ma sœur et moi devons aussi veiller à ressembler le plus possible aux jeunes de chez nous. » La grand-mère les a regardés tous les quatre avec étonnement, « Je ne sais pas, je me sens perdue. Voyons ce que la dernière petite-fille a à me raconter. » « Chez moi, nous considérons que le travail est la réponse à tout, nous y mettons tout notre cœur, nous économisons, nous n’essayons pas d’épater les voisins. » Et le plaisir ?

L’aïeule les a regardés, perplexe. « Je ne sais pas que choisir. En fait, je ne suis tentée par aucun de vos pays, ni par l’égalité, ni par l’individualité, ni par la prise en charge, ni par les grands principes, ni le travail comme règle de vie… » Elle a finalement décidé de passer une année chez chacune de ses filles pour profiter de sa famille, et parfois de leurs pays. 

(JR à Shanghai)
Pour moi, la gestion de nos vieux est très culturelle. La moins mauvaise solution est celle proposée par notre culture, parce qu'elle nous appartient, c'est notre norme. Il fallait voir la tête des Chinois auxquels nous racontions de quelle manière nous nous occupons de nos vieux ! Quoi, vous abandonnez vos parents à des inconnus ?  Vu de cette manière, effectivement, c'est ce que nous faisons, quand ils sont vieux, malades, amers et parfois agressifs. Pourtant, en Suisse, en tous cas dans mon entourage, la pire chose qui puisse arriver à nos parents est de "finir" dans un home, qu'ils considèrent comme une salle d'attente avant le cimetière. Pourtant, tous les homes pour personnes âgées, que ma grand-mère appelait encore asile de vieux, tous ceux que j'ai vus sont drôlement bien, confortables, propres, bien chauffés, avec du personnel gentil et compétent. Et chers. En Chine, on prend soin des ses parents. Je veux dire, on les accueille chez soi, chez le fils en premier lieu. Forcément, ce sont les vieux qui se sont occupés de l'éducation de leur petit-fils/fille. Donnant-donnant. Quoique ça change aussi. Les jeunes qui sont allés à la conquête des grandes villes n'ont plus envie de retourner dans leur campagne et leurs parents n'iraient pour rien au monde en ville. Il va falloir construire des homes, amis chinois, vous verrez comme c'est cruel d'accompagner ses parents à son avant-dernier domicile. 

(JR à Shanghai)
Ce sujet m'a été apporté sur un plateau lors de notre séjour à Locarno. Fred avait déniché en last minute une chambre dans une maison de retraite qui faisait aussi office d'hôtel. J'ai aimé y séjourner. J'ai aimé le mélange de vacanciers et de résidents au point de ne pas savoir qui était qui. J'ai aimé que les résidents puissent aller se balader en ville, puisque la maison était en ville, et que les vacanciers fassent entrer une brise de "jeunesse" dans cette maison. J'ai aussi aimé que l'offre propose des appartements, pas seulement une minuscule chambre dans laquelle le moindre fauteuil personnel encombre le passage ou pire encore, de devoir partager son espace avec un ou une inconnue  acariâtre, malade ou incontinente (comme je le serai, je suppose). Oui, deux ou trois chambres qu'on pourrait investir avant qu'il ne soit trop tard, avec une cuisine coquette pour inviter des copains à une petite croque, sur un joli balcon abrité. Piscine couverte et physio en bas. Il paraît même qu'à Bâle, une telle offre se trouve dans les murs du stade de foot, Fred avait les yeux qui brillaient... J'ai aimé savoir qu'une perspective souriante existe, dans quelques années tout de même, qu'il y en aura peut-être d'autres quand j'en aurai besoin. C'est pas le tout que notre société rallonge notre espérance de vie, il faudrait aussi penser à la qualité de la rallonge.


En conclusion, une touche de légèreté : avec qui puis-je partager mon gâteau d'anniversaire ?
1859 : Jean Jaurès, homme politique français († 31 juillet 1914)
1875 : Ferdinand Porsche, ingénieur autrichien, concepteur de la Volkswagen Coccinelle († 30 janvier 1951)
1926 : Alison Lurie, romancière et universitaire américaine
1932 : José Barrensé-Dias, guitariste brésilien
1934 : Freddie King, chanteur américain († 28 décembre 1976).
1942 : Al Jardine, musicien américain, guitariste du groupe The Beach Boys
1953 : Jean-Pierre Jeunet, réalisateur français
1981 : Gautier Capuçon, violoncelliste français

Ça risque d'être une bonne soirée...

(Philippe Geluck)
J'ai commencé ce billet en étant politiquement incorrecte, j'ai donc banni les seniors, personnes âgées, du 3e âge, du 4e âge, de l'âge d'or, nos aînés... tout au long du texte. Appeler un chat un chat.

1 commentaire:

  1. Très belles illustrations :-) Je partage entièrement ton avis quand tu dis "C'est pas le tout que notre société rallonge notre espérance de vie, il faudrait aussi penser à la qualité de la rallonge."
    Pour cette année, tu as finalement partagé ton gâteau d'anni (avec soufflage de bougies) avec ta famille, contrairement à ce moment solo dont tu parlais ;-)

    RépondreSupprimer